mercredi 3 octobre 2007

Piccolo 11eme partie


-Vous voulez que ce soit moi qui le lui annonce ? demanda Piccolo, tout en resservant Eddy de vin de noix. Aujourd’hui, elle a son cours de soutien mais je la vois demain soir.
Le vieil homme et Eddy avaient l’air de deux chiens battus, tout deux assis à une table à l’intérieur du bar.
-Non, c’est gentil mais c’est à sa mère et à moi de lui annoncer la nouvelle. Manon va sûrement très mal réagir quand elle saura que nous partons à la fin du mois. Elle avait tellement mis de temps pour s’adapter ici. Et puis elle vous avait rencontré, elle avait retrouvé l’envie, le goût des choses. Et était même en passe de combler ses lacunes scolaires. J’ai peur que le choc soit trop rude pour elle. Elle s’est fait son petit monde, sa petite vie autour de vous, de ses amis, du spectacle que vous deviez monter ensemble. Et tout va s’écrouler en quelques instants.
Eddy vida son verre d’une traite. Piccolo le resservit toujours silencieux.
-Le pire dans tout ça, c’est qu’il va nous falloir déménager, tenter de se réadapter ailleurs, dans une grande ville en plus, en Lorraine où il paraît que c’est mort… Manon et Martin vont devoir changer d’école, se faire de nouveaux copains. Et tout ça pour quoi ? Faut pas se voiler la face. Ca commence par des mutations imposées et on sait comment ça finit. Les sites ferment un à un et on se retrouve viré comme un malpropre. Finalement, c’est ça le pire : partir sans savoir de quoi demain sera fait.
Eddy descendit son verre aussi rapidement que le précédent puis se leva.
-Il vaut mieux que je m’en aille. Boire n’a jamais résolu les problèmes. Merci encore Piccolo. Pour tout. Vous êtes ce qui est arrivé de mieux à ma petite Manon.
Il tapota sur l’épaule du vieil homme et sortit précipitamment. Piccolo resta seul, assis à la table, enchaînant sans s’en apercevoir les verres les uns après les autres, noyé sous des larmes qu’il ne pouvait plus contenir.

Manon était écarlate et avait les poings serrés. Elle s’était levée d’un bond tandis que son père et sa mère tentaient de la raisonner. Martin ne comprenait pas tout mais était inquiet de la fureur de sa sœur. Neptune avait précipitamment quitté la pièce.
-Il n’est pas question que l’on parte d’ici ! Jamais, hurla t-elle. Jamais, jamais !
A peine Eddy eut-il giflé sa fille qu’il le regretta. Une gifle âpre, sèche. Manon mit la main à sa joue, surprise, mais ne tarda pas à reprendre ses esprits.
-Je ne partirai pas, vous entendez ! Je vais rester ici, avec mon ami Piccolo et…
La voix de Manon s’étrangla subitement et elle ne put finir sa phrase. Le simple fait d’avoir pensé à son ami le vieux clown fut au dessus de ses forces. Elle s’écroula en larmes dans les bras de sa mère.
-Ecoute ma puce, dit Blanche en prenant les joues de sa fille entre ses deux mains. On comprend tout ça et nous aussi nous souhaiterions rester. Mais ce n’est pas possible. Papa n’a plus de travail ici. Je ne dis pas que c’est juste mais que c’est comme ça. Il n’y a pas le choix. Nous devons partir, quoi qu’il puisse nous en coûter pour chacun d’entre nous.
-Et Piccolo ?, renifla la fillette, je ne peux pas quitter Piccolo… Je suis sa princesse, tu sais, je suis sa princesse !
Blanche avait mal de voir sa fille ébranlée à ce point, pleurant le visage enfoui contre sa poitrine.
-Piccolo est ton ami et ça, ça ne changera jamais. Vous pourrez vous écrire ou même vous téléphoner parfois. Mais tu es une grande personne et je ne veux pas te mentir. Nous nous en allons très loin et je ne pense pas que tu le reverras. D’autant que Piccolo est un vieux monsieur à présent et qu’il ne sera pas possible pour lui de venir nous voir.

Manon renifla de plus belle. Mais sa colère était tombée et elle se sentait lasse. Une immense tristesse l’avait envahie. Elle n’avait jamais envisagé devoir se séparer un jour de son vieil ami Piccolo le clown. Elle se mit à penser aux projets qu’ils avaient ensemble, aux sacrifices qu’il avait faits pour acheter les animaux du futur cirque qui ne verrait jamais le jour. Elle le revoyait surtout en train de lui raconter ses belles histoires, souvent à la lueur des étoiles.
-Ecoute moi Manon, il te reste une dizaine de jours. C’est peu mais c’est beaucoup en même temps. Profite de ton ami Piccolo. Essaie de ne pas penser au départ mais seulement au temps que tu vas passer avec lui. Ce n’est pas facile mais essaie. Sinon, c’est là que tu auras des regrets. Et demain vendredi, ce sera votre dernier jour d’école. J’ai demandé à la maîtresse la permission de vous avoir avec moi la semaine prochaine pour m’aider à préparer les cartons. --Mais ne t’inquiète pas, tu auras beaucoup de temps pour aller voir ton ami Piccolo. Martin m’aidera, ce sera un peu le chef de la famille, rajouta Blanche en levant la voix et en faisant un clin d’œil à sa fille.

Martin hocha la tête, son grand sourire un peu niais sur la figure, et bomba le torse de fierté, ce qui fit sourire Manon qui se sentait un petit peu mieux.
-Excuse moi papa, je regrette d’avoir crié.
-C’est rien ma grande, répondit Eddy qui se sentait au moins aussi gêné que sa fille. C’est oublié.
-Bon, les enfants, c’est bien beau de faire son dernier jour d’école demain mais… si vous m’aidiez à préparer un gros gâteau à emporter pour le goûter avec vos camarades, qu’est ce que vous en dites ?
En poussant de grands cris enthousiastes, Manon et Martin se ruèrent vers les placards et très vite la cuisine s’emplit de traces de farine, d’odeurs de chocolat et d’éclats de rires.



Suite et fin au prochain numéro…

2 commentaires:

Réverbères a dit…

C'est mort, la Lorraine ? Ah bon !

Par contre, ce qui n'est pas mort, c'est la densité de l'histoire, sa tendresse, ses lumières fragiles.

Et dire qu'on annonce la fin !

Cath a dit…

J'hésite entre rire et larmes... C'est tellement triste, en effet, de les envoyer en Lorraine !
;-)
Passé ce moment de franche rigolade, (excuse-moi), j'ai retrouvé l'émotion d'une histoire qui ne faiblit pas. Toujours aussi frais et grave à la fois, ce bouquin sera à lire dans les bibliothèques d'école !