La journée d’adieu à l’école fut une belle réussite. Le gâteau, finalement acheté par maman, était délicieux. Il faut dire que celui préparé en cuisine avait une allure si bizarre que toute la famille s’était sacrifiée pour le petit déjeuner. Manon et Martin avaient vraiment passé une belle journée. Manon était arrivée maussade à l’école puis s’était rappelée de la conversation de la veille avec sa mère. Il ne lui restait plus qu’une journée à partager avec ses camarades et elle devait en profiter, même si Piccolo n’était jamais bien loin dans ses pensées et qu’il lui tardait de le retrouver. Alors elle avait retrouvé le sourire, blaguant, rigolant… et pleurant même lorsque la maîtresse leur remit, à elle et à son frère, un cadeau de la part de toute la classe, ainsi qu’une grande carte musicale signée par tous. Dans le paquet, il y avait un superbe ouvrage animalier pour Martin et un non moins beau livre sur le cirque, avec plein de grandes illustrations en couleurs, pour Manon.
Un livre qu’elle serrait encore contre sa poitrine une fois l’école terminée tout en traversant le village au pas de course pour rejoindre Piccolo. Celui-ci l’attendait sur le seuil du bar et lui souriait. Un sourire franc et généreux comme il savait si bien les faire. Manon enserra son vieil ami, l’embrassa puis tous deux entrèrent dans la salle principale. Elle mangea sa traditionnelle part de tarte aux myrtilles, but ses deux verres de sirop puis resta avec Piccolo jusqu’à ce que la nuit tombe, ce qui arrivait encore assez tardivement en cette saison. Elle voulait profiter de lui, de ses histoires de clown qu’elle connaissait par cœur. Pas un instant elle n’évoqua son prochain départ. Elle savait que son ami était au courant. Perdre du temps à en parler aurait été superflu. Elle voulait simplement être avec Piccolo, rire et rêver avec lui.
Et c’est ainsi que les quelques jours restants se passèrent. Blanche avait prêté à sa fille son appareil photo numérique et Manon prit des dizaines de clichés cette semaine là. Piccolo s’y plia de bonne grâce, revêtant même son ancien costume pour se laisser aller à quelques pitreries qui firent rire Manon aux larmes. Et puis il y eut aussi ces silences, ces non-dits, ces regards dont on peut lire comme dans un livre ouvert. Et qui disent tout.
Et pour ne pas penser à une fin que tous deux savaient inéluctable, Piccolo et Manon commencèrent même le dressage des deux furets, comme si de rien n’était. Martin avait trouvé le nom du sien le soir même où il l’avait attrapé dans sa cage : Brisby, comme le nom du héros du dernier dessin-animé qu’il ait vu en DVD. Sa sœur s’était moquée, ne trouvant pas ça très original et Martin avait fait la moue. Mais en tout cas, le furet de Manon s’appelait toujours « mon furet » et il fallait bien que ça change. C’est au cours d’une séance de dressage avec Piccolo alors qu’elle était prise d’un fou rire qu’elle trouva le nom. Chaque fois qu’elle essayait d’apprendre un tour à son petit animal, celui-ci la regardait fixement et ne bougeait plus. Et à chaque fois, hilare, Piccolo disait : « Y’a comme un bug ! ». Du coup, elle l’appela Bug, ce qui fit rire le vieux clown encore plus fort.
Bref, leurs journées, c'était ça : tenter de dresser Bug et Brisby, rire, parler, caresser le lama, nourrir le bouquetin, partager des parts de tarte, se déguiser, se maquiller, se raconter des histoires. Des journées bien remplies au final mais qui passaient trop vite. Et si Manon voulait montrer de l’enthousiasme en toutes circonstances en présence de son ami, les nuits de solitude étaient plus difficiles. Car les journées s’égrenaient, impitoyables, et la fillette ne pouvait s’empêcher de compter les jours. Et les cartons envahissant sa chambre comme toutes les autres pièces de la maison d’ailleurs ne cessaient de lui rappeler qu’elle et Piccolo devraient bientôt se séparer. Alors elle sanglotait doucement, le visage contre son oreiller.
Et puis le jour J arriva et il fallut bien se résoudre aux adieux. C’était un dimanche maussade et frais, aux premières lueurs du jour. La veille, les déménageurs avaient embarqué l’essentiel de ce qui pouvait l’être avec Eddy qui était redescendu tard dans la nuit. Il n’était donc pas très frais ce matin mais la route était longue et il ne voulait pas se presser. Blanche le relaierait au volant le cas échéant.
La voiture s’arrêta à hauteur du bar de Piccolo qui était déjà ouvert. A l’arrière du véhicule, on entendait Neptune gronder dans sa cage, placée juste à côté de celle de Bug et Brisby
-Va dire au revoir à ton ami, ma grande, et prends ton temps surtout ! dit Blanche à Manon dont les yeux rougis témoignaient d’une nuit et d’un sommeil passablement agités.
Elle entrouvrit la porte, faisant tinter la petite clochette. En principe, c’était le genre de détail auquel Manon ne prêtait plus attention mais là elle avait l’impression de tout capter comme une éponge : les bruits, les odeurs, les objets devant lesquels on passe sans les voir… et donc la petite clochette qu’elle avait fait tinter tant de fois.
Piccolo était là, derrière le bar, son torchon sur l’épaule. Il lui sourit mais son visage était plus marqué que d’habitude. Tous deux avaient redouté cet instant depuis tant de jours tout en sachant qu’on y viendrait tôt ou tard. Manon contourna le comptoir en courant et se blottit contre le ventre de son ami Piccolo. Elle versa des larmes silencieuses, mêlées de tristesse mais aussi de joie. Celle d’avoir connu Piccolo, d’avoir été « sa princesse », d’avoir partagé tant de bons moments qu’elle n’oublierait jamais. Elle offrit alors à Piccolo son visage baigné de larmes mais souriant, et s’aperçut que le vieil homme en faisait autant. Il la regardait avec cette infinie gentillesse dans le regard, mais ne pouvait plus dissimuler sa peine.
-Ma petite princesse, balbutia t-il, la voix brisée par l’émotion, dis-toi que je serai toujours là pour toi. Même de loin, tu entends. Ton vieux Piccolo t’aimera quoi qu’il arrive. Alors sois forte et ne garde que les bons moments, ce sont les seuls qui valent la peine d’être vécus.
Manon fixait le vieil homme. Elle était certes triste, mais heureuse.
-Je t’aime, mon Piccolo, et ça non plus, ça ne changera jamais. Jamais ! dit-elle en le serrant un peu plus fort.
Ils restèrent comme ça un moment puis Manon déposa un baiser sur la joue du vieil homme avant de sortir en courant, la clochette virevoltant une dernière fois. Piccolo resta là, entendit le bruit d’une portière que l’on claque puis celui d’un moteur qui démarre. Il écarta un rideau de la main, entrouvrit un volet et vit la voiture d’Eddy filer puis disparaître au loin.
Ils restèrent comme ça un moment puis Manon déposa un baiser sur la joue du vieil homme avant de sortir en courant, la clochette virevoltant une dernière fois. Piccolo resta là, entendit le bruit d’une portière que l’on claque puis celui d’un moteur qui démarre. Il écarta un rideau de la main, entrouvrit un volet et vit la voiture d’Eddy filer puis disparaître au loin.
Il referma la porte à clef puis éteignit la lumière. Il s’assit à la table la plus proche, son torchon toujours sur l’épaule et resta là, dans l’obscurité. Il pensa longtemps, très longtemps à Manon avant de s’endormir. Et parce qu’il avait été si heureux en compagnie de la fillette, il souriait encore le lendemain lorsque, inquiet de voir les volets désespérément fermés à la mi-journée, Paulo découvrit son corps inanimé. Le vieil homme était parti de sa belle mort, sans souffrance et le sourire aux lèvres. Ses dernières pensées avaient été pour Manon, sa princesse. Il n’avait certes pas réalisé tous ses rêves de vieux clown mais il était parti heureux.
Et à plusieurs centaines de kilomètres de là, Manon rêvait à son ami Piccolo, le vieux clown aux belles histoires.
De celles qui mettent des étoiles dans les yeux.
Fin
5 commentaires:
Oui, des étoiles plein les yeux !
Merci et bravo.
Et un peu d'humidité aussi... parce que les yeux s'embrument.
Voilà une fin comme le reste de l'histoire : pleine d'émotion, de tendresse, mais aussi, malgré la tristesse, d'espoir. Les étoiles sans doute. La magie du cirque. Celle d'une fiction qui nous a bien tenus en haleine !
Bravo et merci Franck.
:-*
:-))
Ouf ! Merci les amis ! J'avoue que j'avais en tête les deux fins précédentes que j'avais quand même un peu bâclées, avec du recul...
Là, j'étais bien dans l'histoire, bien dans mes personnages... et bien dans mes baskets, ce qui est important aussi...
Et lorsque Piccolo parle une dernière fois à Manon en l'appelant Princesse, j'ai moi aussi eu une montée d'émotion bienfaitrice... avec un peu d'humidité aussi. C'est là que j'ai su que cette fin serait la bonne. Et la dernière.
Merci encore à vous tous !
Merci d'avoir tenu compte de nos doutes concernant les précédentes fins. Tu as très bien fait d'attendre le bon moment pour trouver le ton juste : BRAVO.
Je n'ai pas connu les fins précédentes mais celle-ci est réussie. Moments tendres et intimes, moments plein d'émotions où les larmes humidifient les yeux et puis la fin....porte ouverte vers d'autres perspectives pleines d'espoir. Merci de nous avoir emmenés découvrir Manon et Piccolo.
Brigitte
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