mercredi 21 février 2007

Mauvaise conscience


Le journalisme est un métier. Qui me tient à cœur. Malgré les désillusions. Malgré le fait que je n’aurai probablement jamais une vraie reconnaissance du métier puisque je n’existe pas. Je n’ai pas de statut, pas de titre.
Mais j’aime mon job. Je suis correspondant de presse local. Je parle de ma campagne, des communes environnantes. Je parle des gens, de leur métier. Je reflète l’actualité sociale et économique d’un secteur.
J’aime mon job, oui. Et j’essaie de le faire sérieusement. Avec sincérité et authenticité. J’essaie. Ce n’est probablement pas facile tous les jours mais…
Je pense y parvenir globalement. Les gens sont contents et me le disent. On parle d’eux, ça les met en valeur et ils aiment bien ça. Moi aussi.

Le journalisme est un métier. Dont j’ai hélas appris aujourd’hui, naïf que je suis, qu’il faut aussi savoir le faire salement. En bousculant son étique et en fermant les yeux. En mentant par omission. Ce soir, je ne vais pas bien. Les choses n’ont que l’importance que l’on y accorde. Et moi, au milieu de tous mes défauts dont on pourrait faire le tour de la terre, je me trouve honnête. J’essaie tout au moins.


Aujourd’hui, ma mission était simple. Je devais rencontrer un médecin dont le fils est un traumatisé crânien tétraplégique. Je devais parler de son association et surtout de son projet de créer un établissement de soin pour ce type de patients. Un projet exemplaire de bâtir un centre de vie en pleine campagne, pour que l’individu puisse être stimulé et ainsi voir sa rééducation favorisée. Pour porter le projet, ce médecin a créé une association avec plein de spécialistes en neurologie, en handicaps divers. Il s’est entouré remarquablement. A eux tous, ils ont crée un projet incroyablement ambitieux et innovant. Les pouvoirs publics suivent, les financements sont trouvés. Toutes les autorisations ont été données, sauf la dernière. L’avis favorable définitif qui va entériner le projet et lancer les travaux et tout le reste.


Le médecin estime ses chances à près de 90 % et la bienveillance de tous les acteurs du projet lui donne raison. J’étais donc là pour voir où le projet en était. Dresser un historique de l’ensemble, évoquer tous les points qui puissent l’être, parler de la structure et de tous ces accidentés auxquels on voulait donner un peu de vie supplémentaire.

Le médecin a donc 90 % de chance de voir son projet se concrétiser. La réponse sera donnée en mai. Sauf que…
Sauf que les dés sont déjà jetés et que le médecin, même s’il l’ignore, a perdu la partie. Rien d’officiel mais le projet est mort-né. L’avis d’autorisation sera pour un autre projet, à priori bien plus bancal, mais les copinages politiques sont passés par là.
Ce médecin m’a donc parlé d’un projet enthousiasmant qui ne verra jamais le jour. Pendant une heure, il m’aura parlé ouvertement sans jamais percevoir mon malaise. Le malaise de celui qui sait, depuis la veille au soir, que son centre en pleine campagne n’existera jamais.
Et que l’on a envoyé faire un reportage avec comme seule consigne de fermer sa gueule.
Alors, j’ai fait mon métier, salement et en fermant ma gueule.

Je n’ai pourtant aucune responsabilité réelle. Le projet ne m’a pas attendu pour avorter. Et j’ai fait ce que j’avais à faire : un papier sur un projet en cours.
Je me suis sentis sale dès hier, lorsque j’ai su ce qu’impliquait ce que l’on me demandait de faire. Et j’y suis allé quand même. Parce qu’on ne dit pas non à un patron. Parce que ce job que j’aime a aussi des zones d’ombres avec lesquelles je dois composer.

Mais… sale métier quand même...

7 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est ce qu'on pourrait appeler les risques du métier....
Bonne continuation pour ton blog.
très classe la porte du forum

Le passant qui passe

ps: bleu sur noir...çà bug !!

Cath a dit…

Ce n'est pas un sale métier, mais c'était une sale mission, là je te suis à 100 pour cent. Et un sale coup de te l'avoir dit avant : à quoi bon ?..
Il y a des jours, comme ça, où l'on voudrait vraiment faire autre chose ! ou n'avoir rien entendu.
A d'autres titres, dans mon boulot, je vis ça aussi parfois, des révoltes inutiles, amères.
Il faut pourtant aller de l'avant. Il y a d'autres causes qui avancent !
Mais je suis sûre que celle-ci tu ne l'oublieras pas.

Réverbères a dit…

Les dés sont pipés au niveau de la décision… peut-être. Tant qu'elle n'est pas tombée, on n'en sait rien.
Ton travail n'était pas de présenter le projet qui sera retenu, mais de présenter un projet qui en vaut la peine, dont les initiateurs sont plein d'enthousiasme, y croient…
Ton boulot est - après cette entrevue - de faire ressortir cet enthousiasme, l'intérêt du projet, sa raison d'être, son "indispensabilité". Fais le meilleur papier que tu as jamais fait. Montre que ce projet est sublime, qu'il est porté par des gens extraordinaires…

Ça, c'est ton métier.

Les décisions, prises proprement ou non, ne concernent que les décideurs. Les journalistes aussi, c'est vrai. Pour dénoncer les magouilles, après. Mais pour ça, il faut - comme tu le dis - avoir un statut, exister en tant que journaliste… Il faut y croire.

Fais ton métier : informer !

Anonyme a dit…

Formidable Franck!! Tu aime ton métier, je te souhaite d'un jour sortir enfin de l'ombre...
Sympas le passant qui passe...

Anonyme a dit…

Bon le dernier anonyme c'est moi,
Mona

franck a dit…

Dans "choisir une identité" (sur cette page), clique sur "autre" et rentre ton prénom au lieu de cliquer sur "anonyme"... Comme ça, je saurai sans problème que c'est toi !

Anonyme a dit…

ha! ok! merci Franck.