On dit souvent qu'un sujet en amène un autre. J'ai précédemment évoqué ma difficulté d'assister au traditionnel repas de famille à l'occasion des fêtes de Noël. Je tiens néanmoins à préciser que ça n'enlève rien aux qualités de mes beaux-parents que j'ai évoquées par ailleurs, voici plusieurs mois.
Je crois surtout qu'au delà de ces faux problèmes de repas "de groupe", c'est le concept même de famille qui me pose problème et que je ressens comme une intrusion parfois violente dans ma petite existence.
Je ne cherche pas à me justifier. D'ailleurs, je n'en ai nullement besoin et personne ne me le demande. Mais je crois que lorsque l'on n'a jamais eu le sentiment d'appartenir à une famille jusqu'à un stade relativement avancé de sa vie, c'est très difficile ensuite d'aller vers des gens "étrangers", malgré leur bienveillance et leur attachement. Les parents de Nath voudraient que je sois plus famille, que l'on vienne plus souvent, ou que les appels téléphoniques soient aussi plus nombreux... mais j'ai du mal avec tout ça, et le mot est faible. Car je ressens tout cela comme l'intrusion d'un mode de vie, d'une éducation qui m'échappe et que je n'ai pas connue.
On a tous sa vie, son propre cheminement, avec les hauts et les bas qui font ce que nous sommes. Loin de moi ici l'idée de me plaindre. Ma vie ne m'a globalement pas convenu mais il y a pire ailleurs. Et j'ai Nath. Et d'autres qui tiennent à moi, à nous.
La famille. Un concept vague pour quelqu'un qui n'a plus vu son père depuis l'âge de quatre ans. Un père que je ne regrette pas, assurément violent et probablement escroc. Où qu'il soit aujourd'hui, surtout qu'il y reste. Mais l'idée de famille sans présence masculine, déjà ça coince. Etre fils unique n'a rien arrangé. Aucun contact avec la famille du côté paternel et une famille éclatée du côté de ma mère. Le souvenir de vacances forcées à la campagne chez l'un de mes oncles où il ne faisait pas bon être le sale gamin de la ville. Le souvenir d'une cave sombre et humide dans laquelle mes cousins et moi étions parfois enfermés. Une mère qui a fait ce qu'elle a pu avec les moyens du bord mais qui a cruellement manqué de tendresse, de fierté envers un fils qui aurait tant voulu qu'elle le regarde vraiment. Une mère enfin qui aurait tant désiré une fille et qui a reporté l'affection dont elle était capable sur sa nièce.
Bref, une enfance solitaire, si ce n'est, quand même, quelques vacances mémorables avec un autre de mes oncles, toujours du côté de ma mère, que j'aime comme un père malgré la distance géographique.
Un môme solitaire donc, plongé dans ses BD et ses dessins. Une bulle bien à soi pour un gamin qui se fait ses propres héros. Et qui rêve. Beaucoup. Seul.
Et puis, suite à ma rencontre avec Nath, je me retrouve catapulté dans un monde qui m'est tout sauf familier. Un monde où le concept même de famille est roi, pas forcément la proche famille d'ailleurs mais aussi cousins éloignés. Un monde où les gens aiment se voir, recevoir, prendre des nouvelles, mais aussi aiguiser leur curiosité, la frontière est si mince... Un monde bienveillant mais dans lequel j'étouffe presque immédiatement. Les repas réglés comme du papier à musique se multiplient. Tout le monde s'amuse et essaie sincèrement de me mettre à l'aise. Alors je joue le jeu, après tout, ces gens sont bien gentils. Mais hors champ, je n'y arrive pas. Les sollicitudent m'ennuient, me compriment.
Le mariage sera à l'image de cette nouvelle vie dont j'ai la sensation qu'elle me glisse parfois entre les doigts. Je veux une cérémonie intimiste et nous serons plus de 100.
Les débuts avec les beaux-parents Georgette et Alexandre sont tendus. Les pauvres, ils rentrent de cure et apprennent que leur fille a emménagé avec un parfait inconnu. De plus, je ne leur facilite pas les choses de par mon côté sauvage exacerbé.
Petit à petit, on s'apprivoise. Mais je reste félin. On peut m'approcher mais je n'appartiens à personne et c'est encore vrai aujourd'hui. Ils s'inquiètent lorsque je ne vais pas bien, m'encouragent lorsque je tiens le bon bout, et sont sincèrement ravis lors de réussites ponctuelles. Mais je garde malgré tout cette distance qui fait que, même lors de repas dits de famille, je ne m'intègre pas vraiment. Mais c'est délibéré. A plus de 30 ans, l'idée de famille n'est pas naturelle pour moi. Je peux idéalement faire avec, parfois même reconnaître ses bons côtés, mais je ne peux adhérer.
Si j'avais connu ça tout marmot, je crois que ça m'aurait bien plu. L'appartenance à une famille et la reconnaissance qui va avec. Mais à présent, la seule chose dont j'ai besoin, c'est cette soif de liberté, d'indépendance. Je n'oublie pas celle avec laquelle je partage ma vie. Je n'oublie pas d'où elle vient. Son vécu, ses besoins. Mais que c'est dur parfois.
La famille, c'est vraiment pas simple quand on n'a pas appris...